Introduction
Le secteur de l’assurance fait face à des défis considérables : explosion des attentes clients (rapidité, digital, personnalisation), pression sur les coûts et marges, complexité des processus (sinistres, souscription, réclamations), et transformation digitale à intégrer. Dans ce contexte, l’approche du Lean Management — née dans l’industrie mais de plus en plus pertinente dans les services — offre une réponse structurée : comment supprimer les gaspillages, fluidifier les flux, réorienter l’organisation vers la valeur ajoutée au client, tout en optimisant les opérations internes.
Cet article présente les principes clés du Lean appliqués au secteur des assurances, identifie les types de gaspillage typiques, puis illustre par trois études de cas comment des acteurs du secteur ont mis en œuvre ces principes avec succès. Enfin, il traite des bénéfices, des conditions de réussite et des défis à relever.
Principes du Lean appliqués aux assurances
Les 5 principes du Lean — la valeur ajoutée, la chaîne de valeur (value-stream), le flux, le système pull, la recherche de la perfection — restent pertinents dans un contexte d’assurance, mais doivent être adaptés au service.
- Définir la valeur : dans l’assurance, la valeur pour l’assuré ou l’intermédiaire peut être « une réponse rapide à une réclamation », « un contrat clair sans erreur et rapide», « une gestion simple et transparente ».
- Cartographier la chaîne de valeur : par exemple, pour un sinistre : réception – qualification – instruction – décision – paiement/réparation – clôture. Identifier toutes les étapes, y compris celles qui n’apportent pas directement de valeur.
- Créer un flux continu : éviter les interruptions, les allers-retours, les validations inutiles, les attentes longues entre étapes.
- Mettre en place un système pull : traiter les demandes au moment où le client en a besoin plutôt que d’accumuler des stocks de dossiers.
- Tendre à la perfection : encourager les collaborateurs de toutes les fonctions (sinistres, souscription, back-office, relation client) à proposer des améliorations partout dans l’entreprise tous les jours, repérer les gaspillages, mettre en œuvre les actions correctives, utiliser le management visuel, prétvenir les erreurs par le Poka-yoke.
Gaspillages typiques dans les assurances
Le Lean identifie traditionnellement 7+1 types de gaspillage (muda) ; dans le contexte des assurances, voici comment ils se manifestent :
- Attentes : délais entre réception d’une demande (ex. sinistre) et traitement, attente de validation.
- Transferts / mouvements : dossiers transférés d’un service à l’autre sans ajout de valeur, déplacements inutiles pour rechercher des informations ou des documents, agent qui cherche plusieurs systèmes, navigue entre plusieurs interfaces, passe du temps à rassembler les données.
- Surproduction / sur-traitement : création de documents plus que le nécessaire, multiples contrôles ou relances non nécessaires, approbation en surplus.
- Stocks : accumulation de dossiers non traités, files d’attente importantes.
- Erreurs / retours (rework) : dossiers incomplets, données erronées, réclamations.
- Sous-utilisation du potentiel humain : les collaborateurs restent cantonnés à des tâches répétitives sans leur donner la possibilité de proposer des améliorations ou d’agir sur les causes.
L’application du Lean permet d’identifier et de réduire ces gaspillages, ce qui améliore l’efficacité opérationnelle et l’expérience client.
Étude de cas 1 : MAPFRE – Lean IT et transformation des flux IT
Le groupe d’assurance MAPFRE, présent dans 49 pays avec plus de 27 millions de clients, a mis en place un pilote de « Lean IT » afin de transformer ses processus de développement et de gestion d’applications.
Contexte : Le back-office et les systèmes IT étaient complexes, les délais élevés, les flux inefficaces. MAPFRE a décidé d’appliquer la philosophie Lean : élimination des activités sans valeur ajoutée (muda), implication des collaborateurs, mesure constante des indicateurs.
Actions menées :
- Un pilot a ciblé les domaines de développement et la gestion d’applications.
- Les équipes ont travaillé à identifier puis éliminer toutes les activités « non-valeur ajoutée».
- Déploiement d’indicateurs de performance délais, qualité, satisfaction client.
- Sensibilisation et formation des salariés à la démarche Lean.
Résultats :
- Le délai de livraison est passé d’environ 61 jours à 25,5 jours (réduction d’environ 60 %).
- Le taux d’efficience est monté de 79 % à 97 %.
Leçons à retenir pour l’assurance :
- Même dans les services support (IT), l’application du Lean peut générer des gains très concrets.
- Il faut engager les équipes, les former, et faire de la mesure un outil de suivi et d’amélioration.
- Le Lean doit être intégré dans le système d’activités quotidiennes, pas seulement un projet ponctuel.
Étude de cas 2 : Versicherungskammer Gruppe (VKG) – intégration Lean + Six Sigma à large échelle
Dans une étude publiée en 2020, les auteurs décrivent un projet d’envergure au sein de la compagnie allemande VKG dans lequel les méthodes Lean Six Sigma ont été adaptées au secteur de l’assurance.
Contexte : VKG est le plus grand assureur public d’Allemagne, couvrant plusieurs branches (vie, santé, biens). Le groupe a initié le projet « Top 3 » en 2015 afin d’optimiser tous les processus internes, avec un budget annuel de ~10 millions d’euros et l’implication de toute l’organisation.
Actions :
- Une structure de déploiement en « vagues » (waves) de 12 à 16 semaines par département.
- Utilisation du cycle DMAIC (Define-Measure-Analyse-Improve-Control) issu de Six Sigma, combiné à des outils Lean (flux, visual management, standardisation).
- Mise en place de réunions quotidiennes de type « Performance Dialogs », utilisation de tableaux de bord visibles pour tous.
- Implication forte de la direction (le CEO sponsor du projet) et remplacement de managers peu engagés.
Résultats / enseignements :
- Le projet a atteint ou dépassé ses objectifs dans de nombreux départements.
- La combinaison Lean Six Sigma a permis non seulement de gagner en efficacité, mais aussi d’améliorer la satisfaction client et la satisfaction des employés.
- L’étude souligne que l’adaptation à l’activité d’assurance était primordiale : aucun modèle « clé en main » ne suffit. (link.springer.com)
Pour l’assurance :
- Cette approche intégrée (Lean + Six Sigma) est intéressante pour les assureurs qui ont besoin non seulement de réduire les coûts mais aussi de maîtriser les variations, d’améliorer la qualité de service.
- Le pilotage par vague permet de diffuser la culture et d’apprendre progressivement.
- L’engagement de la direction et la gestion du changement sont des facteurs clés.
Étude de cas 3 : Assurance santé / traitement des dossiers « pendings » – réduction des dossiers en attente
Voici un cas issu du secteur des assurances santé (États-Unis) : un grand assureur a utilisé une démarche Lean Six Sigma pour réduire les dossiers « pendings » (en attente) dans le traitement des réclamations.
Contexte :
- Le centre concerné recevait environ 22 000 réclamations par jour (~5 ,5 millions/an).
- 15-20 % (~3 800 dossiers/jour) nécessitaient une intervention manuelle, entraînant un coût et un retard.
Objectifs : Réduire de 20 % le nombre de dossiers en attente chaque jour, générer des économies (~360 000 $/an) et améliorer la satisfaction client.
Actions :
- Analyse des causes : 27 problèmes système identifiés. (juran.com)
- Application de la méthodologie Six Sigma (DMAIC) pour structurer l’amélioration.
- Simplification et standardisation des processus, réduction des interventions manuelles.
Résultats :
- Réduction des dossiers en attente de 22 % en 7 mois.
- Économies de 366 236 $ dans ce périmètre.
- Meilleure fluidité, meilleurs indicateurs de performance.
Implications pour les assureurs :
- Même dans des processus très volumineux et routiniers, l’approche Lean Six Sigma génère des gains mesurables.
- L’identification des causes racines est essentielle.
- Il ne suffit pas de réduire les coûts : il faut aussi améliorer la satisfaction client et la qualité.
Bénéfices de l’application du Lean dans les assurances
L’adoption du Lean dans les compagnies d’assurance peut apporter :
- Réduction des délais de traitement (sinistres, souscription, réclamations).
- Diminution des erreurs et des corrections, donc amélioration de la qualité et réduction des coûts.
- Augmentation de la satisfaction client, via des services plus rapides et fiables.
- Amélioration de la satisfaction et de l’engagement des équipes, lorsque celles-ci participent à l’amélioration continue et sentent des résultats.
- Structure de coûts optimisée, avec moins de gaspillages (temps, ressources) tout en conservant la qualité.
Conditions de réussite et défis à anticiper
Pour que l’implémentation du Lean soit durable et efficace dans les assurances :
Conditions de réussite :
- Engagement fort de la direction et message clair que la démarche est prioritaire.
- Implication des collaborateurs de tous niveaux, formation et sensibilisation.
- Cartographie précise des processus, identification des gaspillages, indicateurs clairs.
- Adaptation des outils Lean Six Sigma au contexte spécifique des services et de l’assurance.
- Culture d’amélioration continue (Kaizen) : ne pas traiter le Lean comme un one-off, mais comme un mode de fonctionnement.
- Intégration avec la digitalisation et l’automatisation.
Défis à anticiper :
- Les processus d’assurance sont souvent intangibles, impliquent des validations, des risques réglementaires, des opérations variées : la standardisation peut sembler plus difficile que dans l’industrie.
- La résistance au changement : certains managers ou services peuvent freiner si le Lean perçue comme réduction de ressources ou pression supplémentaire.
- Maintenir les gains dans la durée : il ne suffit pas de « faire un projet », il faut une gouvernance, un pilotage continu.
- Mesurer les effets indirects (satisfaction, qualité, engagement) : souvent plus difficile que les mesures purement opérationnelles.
- Sécuriser la conformité réglementaire, la gestion des risques, tout en fluidifiant les processus.
Conclusion
Le Lean Management, loin d’être réservé à l’industrie, s’impose comme un levier stratégique pour les compagnies d’assurance qui veulent gagner en efficience efficacité. En adoptant une démarche centrée sur la valeur ajoutée, en éliminant les gaspillages, en instaurant un flux efficace et une culture d’amélioration continue, les assureurs peuvent transformer leurs opérations et renforcer leur position concurrentielle.
Les trois études de cas présentées montrent que :
- Le Lean fonctionne aussi bien dans les fonctions support et IT (MAPFRE) qu’au cœur des opérations assurance (VKG) ou dans des processus à fort volume (réclamations santé).
- Le succès dépend autant de la dimension humaine (engagement, culture) que de l’outil méthodologique (cartographie, flux, indicateurs).
- Il faut adapter le modèle au contexte spécifique de l’assurance : produit, canal, réglementation, volume, type de client.
En somme, pour les assureurs, le Lean n’est pas simplement une méthode de réduction des coûts : c’est une philosophie de service centrée sur le client et l’efficience opérationnelle. Une démarche qui, dans un marché en forte mutation, peut faire la différence.
Vous souhaitez déployer une démarche Lean adaptée à votre organisation ou optimiser vos processus assurance ? Contactez Amine Group, notre équipe d’experts en excellence opérationnelle vous accompagne dans la mise en place d’un Lean Management sur mesure, centré sur la performance et la satisfaction client.


